«Je peux commencer par raconter un événement qui est arrivé en 1972 alors que nous quittions le port de Skagway en Alaska et que nous allions naviguer en direction du Japon. C’était ma première traversée comme capitaine du North Pacific et j’étais indécis quant à la route à choisir. J’ai d’abord opté pour une route du Sud mais, entre-temps, j’ai rencontré un vétéran de la navigation sur l’océan Pacifique qui m’a donné des conseils. Il m’a dit, “va directement au Aléoutiennes — aux îles Aléoutiennes “, et, “là tu peux” — qu’il me dit de manière familière — “tu peux slalomer entre les îles, que le vent vienne du Nord ou du Sud”.
Ça semblait ingénieux. Alors nous sommes partis de Skagway, vers bâbord, en direction des Aléoutiennes. La température était relativement clémente, mais alors que nous nous approchions du Sud des îles, une dépression s’est formée. Comme elles le font habituellement, les basses pressions se déplacent vers le Nord-Ouest, et nous avons dû nous diriger vers le Nord des îles et trouver, là, une route.
Nous sommes allés vers là, vers le Nord, et avons trouvé une route entre deux îles. Mais, à la merci de la température, nous avons arrêté les machines en conservant tout juste une vitesse nécessaire pour maintenir la proue face aux vents.
Et habituellement ce qui arrive, c’est que la basse pression, quand elle passe, fait tourner le vent à 180 degrés. Ça nous est arrivé alors que nous étions placés sur le côté Nord, et elle avait une énorme vitesse. La mer s’est soulevée et la vitesse du vent augmentait encore, et toujours.
On a attendu là, que la température change, et quand c’est arrivé, comme j’ai dit déjà, le vent a changé de direction à 180 degrés.
Évidemment, ce que nous aurions dû faire plus tôt, c’est aller vers le Sud des îles et trouver le côté sous le vent.
Mais au moment de décider, il était déjà trop tard.
Alors on était coincé, dans ce climat, pendant presque deux jours, n’osant pas virer de bord, parce qu’on était certain de briser en deux.
Et ce qui arrive alors, quand le bateau est à la merci de la température comme ça, c’est qu’il monte sur la crête des vagues, puis plonge dans le creux des vagues, et toute la mer engloutit le pont.
Et puis, le bateau reste pris sous l’eau, et vous savez, le bateau travaille et travaille et travaille pour rejaillir de cette mer violente. Alors enfin, le bateau sort et toute l’eau déferle, libérant le pont.
Je n’avais jamais imaginé que la mer pouvait être un tel cauchemar, comme à ce moment-là, et j’étais certain que c’était ma dernière heure sur mer.
… puis enfin ils ont disparu.»