«… un instant transportée dans des retrouvailles magnifiées des premières illuminations ‘concrètes’ de mon enfance […]. Peut-être étais-je seule ce soir à être si émue à l’écoute de ces dernières ‘mesures’…» — Marie-Claire Schaeffer-Patris, lettre personnelle au compositeur. Novars salue la naissance de la musique concrète, Ars Nova de notre siècle, en utilisant les ressources de l’ordinateur. Il ne s’agit donc pas de pasticher mais, au contraire, de témoigner qu’à travers les moyens les plus actuels, un langage a bel et bien été transmis. Peut-être est-il possible aussi, sans établir de symétrie simpliste, de suggérer qu’à six siècles de distance, il existe quelque parenté entre ces deux théoriciens d’un art nouveau: Vitry et Schaeffer. Ainsi, une oreille ‘classique’ pourra-t-elle reconnaître des fragments de l’Étude aux objets (1959) de Pierre Schaeffer et de la Messe de Nostre Dame (1364) de Guillaume de Machaut. Ces emprunts détournés constituent en effet — avec un troisième élément sonore, sorte d’hommage/clin d’œil à Pierre Henry et à sa porte célèbre — tout le matériau qui donne naissance à de multiples variations. Signe de changement: des mutations ‘spectromorphologiques’ (Denis Smalley) donnent ici aux sonorités de l’Ars Nova et à celles de la ‘musique nouvelle’ (comme la désignait Schaeffer en 1950) le son de notre temps. Signe de continuité: quelque chose des œuvres originales (leur couleur, des structures…) reste cependant présent, indestructible. François Bayle écrit à sujet de Novars: «Il y a, à l’écoute des œuvres de Francis Dhomont, la marque évidente d’un style. On y trouve des traits, des signatures: longues trajectoires ‘respirées’, alternances bien conduites de formes fortement inscrites et de traces fines et légères, jeux des proportions et des masses en mouvements. Ou comme dans son Chiaroscuro — l’une des plus réussies — un goût baroque de la richesse timbrique aux contours ombrés, traversée de fragments identifiables, vocaux souvent, vivants toujours. Il y a le sens de l’accent et du long soupir, conduit jusqu’au silence finement écouté, cadré et placé avec le soin méticuleux du photographe pour qui tous les détails d’arrière-plans comptent, évidemment, et peut-être plus ou sinon autant que les intentions musicalement soulignées auxquelles ils s’incorporent. Mais dans Novars il est à noter quelques distinctions qui donnent couleur et attraction spéciale à une œuvre qui s’est placée dans un propos bien particulier. L’élément-cellule rythmique, qui propose une danse lente s’appuyant sur une note complexe, un emprunt monté en épingle (choisi dans l’Étude aux objets de Pierre Schaeffer), et qui, se détachant d’un fond coloré de timbres-voix moirée (et ‘brassés’ d’après Machaut) projette sur l’œuvre cette évocation de Pavane (pour des amours certainement pas défuntes!). Les respirations, élancements, jetés-glissés, aux gestes si chorégraphiques font contrepoids aux enchevêtrements rythmiques formant troisième personnage-sonore de cette histoire, histoire de temps et contretemps, en forme d’énigme. Et en effet le jeu se développant dévoile petit à petit les sources de son inspiration. Ou plutôt ce dévoilement s’accompagne d’une longue mise en perspective, d’une distance prise à l’égard des sources citées, et d’une couleur d’outre-monde à la Tanguy, de ces plages où s’effile dans des tonalités de «ciel de métal» (Giono) cet hommage au renouveau. Dédiée «à la musique concrète», cette œuvre éclaire avec douceur ses références, et nous laisse après l’écoute sous le charme de sa prégnance. Comme dans … mourir un peu — la prolongerait-elle? —, nous voici offert un bien étrange et bienfaisant moment de réflexion.» (Paris, 16 juin 1991) |