Notice (fr) : |
Ce Trio à clavier est une commande du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (département musique). Sa création en juin 2003 par le trio Geister concluait la résidence que le Palais des Beaux-Arts m’avait proposée durant la saison 2002-2003. Les deux autres créations de cette résidence avaient des liens avec la musique du passé: An die Nacht pour soprano et orchestre sur un poème de Novalis, créé et commandé par l’OPL s’inscrivait, tout comme ce nouveau Trio, dans un programme Schumann – la figure du poète et celle du musicien allemand sont assez proches, ne serait-ce que par la thématique crépusculaire de leur œuvre. Upon Teares pour consort de violes de gambe proposait, quant à elle, des liens plus forts avec le passé puisque l’œuvre, faisant vœu d’humilité, était entièrement conçue comme un écrin aux Lachrimae de John Dowland. Mon Trio à clavier montre sans doute moins clairement ses racines à la musique du passé. Pourtant, il s’inspire directement du premier Trio en ré mineur de Schumann, mais cette relation — je n’ai pas parlé de référence! — vient en quelque sorte s’inscrire en creux. J’ai essayé d’y faire écho, non par redondance, mais plutôt en «négatif»; sans référence aucune au langage, ni au style de Schumann, contrairement, par exemple, à l’hommage rendu aux trios de Schumann — spécialement le troisième — par Wolfgang Rihm à travers ses Fremde Szenen, grâce à l’exaltation de figures et de gestes schumanniens qui viennent agir comme par excès. Ici, rien de cela. Juste, peut-être ça et là, le souvenir troublé et lointain d’une phrase étrange dans le premier mouvement du Trio de Schumann, phrase qui semble ne se rattacher à rien: des accords répétés dans l’aigu du piano, le violoncelle et le violon jouant sur le chevalet une curieuse mélodie en mouvement disjoint aux couleurs pentatoniques. Une des images qui me frappe à l’écoute du premier Trio de Schumann est un mouvement qui tend toujours à s’élever, qui touche une cime — y reste parfois quelques instants —, puis, pour finir, échoue toujours: sorte de promesse que l’on ne peut jamais tenir, mais que l’on engage sans cesse avec l’espoir renouvelé de la voir enfin tenue… Ce sentiment est sans doute exacerbé par l’allure passionnée du premier mouvement. On retrouve également cette image clairement soulignée dans le trio central du deuxième mouvement: le thème y est une ligne montante puis descendante, mais arrivant plus bas que le point de départ – les entrées successives en canon rendent cette figure qui se clôt sur elle-même encore plus prégnante peut-être: les mouvements de force contraire s’annulent… Ma pièce aussi procède du même mouvement: on part d’un point et on y revient. Mais là où Schumann promettait, j’annonce l’échec: le début de mon trio échoue totalement! Des bribes qui s’enroulent sur elles-mêmes en descendant inexorablement, qui tentent en vain de reprendre de l’altitude; des gestes hétérogènes qui semblent n’être reliés entre eux que par leur propriété commune à subir la loi de gravitation! Une partie centrale fait fonction d’adagio: c’est le lieu où les choses se renversent; on attend et on prépare la troisième (et dernière) partie qui est, vue de loin, un grand mouvement ascensionnel: on recolle enfin les morceaux… C’est le moment où tout ce qui avait été mis en péril peut se rééquilibrer, c’est le moment où la forme se reconstruit. Mon Trio est un peu conçu comme une vitrine de poupées gigognes: chacune des parties se retrouve comprise à l’intérieur des autres. Les trois parties fusionnent donc par assimilation. Seul un choral vient ponctuer par moments et laisse entrevoir l’articulation formelle de la pièce. D’un point de vue instrumental, le début confine les cordes dans un rôle de chambre d’écho: le violon et le violoncelle transforment ou amplifient les effets de timbre du piano — la 3e pédale «sustain» du piano y contribue également. Ce n’est que progressivement qu’ils prendront une place plus importante, bien que, très souvent, ce soit le piano qui conduise le discours: il semble par endroits quasiment concertant. L’espace, les registres sont investis de manière très différente au fur et à mesure que l’on avance. Les extrêmes sont utilisés pour leurs pouvoirs expressifs et leurs qualités plurielles de timbre. Cette mise en espace induit aussi un jeu particulier sur la tension instrumentale – le violoncelle, par exemple, peut faire entendre des notes presque aussi aiguës que le violon, mais avec une tension évidemment beaucoup plus grande. Ce Trio est fortement marqué par une idée ternaire (forme, harmonie: importance des tierces…). Il est dédié à mes trois enfants. L’œuvre est enregistrée par le Trio Fibonacci (CD Cyprès CYP4623). |
Notice (en) : |
Written in 2003, the Piano Trio advances Mernier’s Schumannian quest, this time in the form of a homage to the latter’s admirable Trio in D minor op. 63 (which he likes to have programmed in the same concert, even though it contains not the slightest allusion). The polyphonic and especially the polyrhythmic complexity is pushed even further than in An die Nacht, for three solo chamber musicians can be treated with greater boldness than the desks of an orchestra. The work initially follows a descending trajectory of a progressive loss of energy: no sooner is a fast tempo established than it slows down more quickly than the preceding, and here, as with Schumann himself, we perceive a pallid, wan night, at times shot through with flashes of illusory brilliance, like aurorae. The surges of acceleration and deceleration that are continually being cut short and most often superimposed where very loosely inspired by certain procedures of “rhythmic modulation” favoured by Eliott Carter (the composer, be it remembered, of the admirable Night Phantasies for piano). After the low point of the slow central section, the third and final part seeks to give itself mere ongoing momentum, but even so the ultimate affirmation is far from assured… The work is recorded by Trio Fibonacci (CD Cyprès CYP4623). |