Notice (fr) : |
Le projet autour de An die Nacht a été déterminé par la figure de Schumann qui domine le programme de ce concert. Le choix du texte extrait des Hymnes à la Nuit de Novalis (1772-1801) — il s’agit du deuxième poème du cycle — s’est progressivement imposé à moi, car d’une part, la personnalité — et la courte vie — de Novalis rappelle celle du musicien, mais surtout parce que ce cycle dédié à la Nuit — l’une des rares œuvres achevées de Novalis — me semble faire parfaitement écho à la musique orchestrale de Schumann qui, poétiquement, paraît très différente de son œuvre pour piano et de sa musique vocale. Ces œuvres symphoniques, ces «architectures de pénombre» comme les nomme André Boucourechliev — Manfred en est l’expression la plus claire, à mon sens —, résonnent de manière tragique, ambiguë et renvoient souvent à un monde crépusculaire. Les Hymnen an die Nacht de Novalis ne se peuvent se réduire à une simple exégèse; disons toutefois que cette œuvre emblématique du début du romantisme allemand est l’expression exacerbée de la douleur et du deuil d’un artiste, pour qui pensée et poésie ne faisaient qu’un, poète qui traitait tant le sujet philosophique que scientifique. En 1797, Novalis perd sa toute jeune fiancée Sophie von Kühn, qui meurt à l’âge de quinze ans — c’est à peu près l’âge de Clara Wieck lors de sa rencontre avec Schumann. Ce décès va transformer l’existence du poète en une quête métaphysique, une véritable «conversion de la vie à la mort». Pour Novalis, la mort n’est pas le néant ni les Enfers desquels Orphée cherche à extraire son Eurydice. Cette mort est le lieu où Novalis pourra retrouver sa fiancée. C’est l’éternité qui «n’a rien à voir avec la mort ordinaire: ce sera quelque chose que nous pouvons nommer transfiguration». Novalis parle d’un amour qui s’est transformé en une véritable «religion». Ce thème de la mort renvoie au Manfred de Byron, bien que le sujet y soit traité différemment. Tout comme les fragments écrits par Schumann faisant suite à l’Ouverture rappellent «ce monde clos sur lui-même comme un hérisson» que l’on trouve dans les Fragments de Novalis publiés, comme les Hymnen an die Nacht, dans la revue Athenaeum de Friedrich Schlegel — c’est dans ses bras que Novalis mourra. L’Éternité bienheureuse à laquelle Novalis aspire est aussi une éternité voluptueuse: la Nuit éternelle dont le sommeil humain ne donne qu’un pâle reflet est celle qui «flotte autour des seins de la tendre jeune fille», c’est l’ivresse du vin ou de l’opium, c’est l’état de torpeur provoquée par «l’huile magique de l’amandier». La Nuit mortelle est aussi une nuit de noces éternelle, celle de l’étreinte infinie… |
Notice (en) : |
Here the link with Schumann is made via Novalis, the brilliant poet of the night of early German romanticism, whom Schumann admired so much and to whom he was attached with so many ties, even in the unfolding destiny of their biographies. The sublime text sings of night complicit in the union of the lovers and it curses the return of daylight that puts an end to it, an end even to the life of the beloved woman. This has been a recurrent theme in Western poetry ever since the medieval Chansons d’Aube and was to reach its high-point in the second act of Wagner’s Tristan und Isold. In the present instance, however, the lovers are more of the age of Romeo and Juliette, as Novalis lost his little fiancée when she was barely 15 years old, and himself was not much older. Preceded by an ample orchestral prologue (forming a third of the whole work), Mernier’ work is not so much a grand lied as a symphonic poem with voice; and if the voice is treated with an extraordinary diversity of ornemental vocalizing, the orchestra, at times at the limit of the audible, attains an extreme degree of refinement and complexity, in an aural atmosphere of absolute beauty, with one or two vague allusions (never literal quotations) from the Alban Berg of the Altenberg Lieder. |