Informations
Titre en français : La Terre-sans-mal
Titre en anglais : A Land-without-Evil
Année de composition : 2010-11
Durée : 20min
Instrumentation (fr) : flûte/piccolo/flûte alto, clarinette/clarinette basse, trompette, guitare électrique, guitare basse, percussions, accordéon, piano, échantillon
Instrumentation (en) : flute/piccolo/alto flute, clarinet/bass clarinet, trumpet, electric guitar, bass guitar, percussion, accordion, piano, sample
Notice (fr) : La Terre-sans-mal n’est pas seulement un lieu de délices, elle est aussi le seul refuge qui restera aux hommes lorsque surviendra la fin du monde: «Nan-derikey est au-dessus de nous. Le jour où il retirera un des étais sur lesquels repose la terre, elle s’effondrera. Aujourd’hui la terre est vieille et les générations humaines n’y prospèrent plus. Nous reverrons tous ceux qui sont morts. Quand la nuit viendra, la Chauve-souris descendra pour les exterminer. De cette nuit descendra aussi le Jaguar bleu qui nous dévorera. II y aura aussi un Grand Feu qui sera suivi de la Grande Inondation.» (1) Ainsi le peuple des Guarani d’aujourd’hui — groupe ethnique essentiellement réparti entre le Paraguay et le Brésil — entretient-il les mythes d’hier. Au cours des siècles passés, la recherche de cette Terre-sans-mal incita aux déplacements de tribus. Cependant, ces migrations autrefois recherchées se sont transmuées aujourd’hui en mouvements subis et forcés. Car ces dernières décennies, ce peuple a largement souffert (et continue de souffrir) des méfaits d’expropriations multiples suite aux nécessités gouvernementales de disposer de nouvelles terres à des fins d’exploitations nouvelles (à commencer par les biocarburants). Déracinement, crimes contre ces populations, alcoolisme et délinquance sont devenus dès lors le lot quotidien de ces peuples dont la culture souffre de cet état de fait. Le désir d’écrire cette pièce participe de cet engagement de compositeur inscrit dans le monde d’aujourd’hui et prend naissance dans le fait que j’ai eu la chance merveilleuse d’enseigner au Brésil durant les étés 2008 et 2009. À cette occasion, j’eus la surprise de me rendre compte combien les musiciens de ce pays étaient peu conscients de la diversité de leurs cultures musicales locales. Si la MPB (2) transpire à chaque coin de rue, la musique des Indiens (ou du moins de leurs rares survivants) qui peuplent ce continent demeure le plus souvent inconnue. D’où mon désir de m’y intéresser de plus près, ainsi qu’à ses conditions d’existence (et en définitive à celles de ceux qui la pratiquent). Dès lors, «La Terre sans Mal» (3) transpire de ces musiques. Elle ne veut en aucun cas les pasticher ou se définir comme transcription ethnique. Au contraire, elle penche plutôt vers une dimension «électrique» largement contemporaine, avec pour sources de nombreuses références aux analyses spectrales de sonorités issues du Brésil (qui néanmoins font sens à nos oreilles et trament une narration au sein de notre inconscient: sons de la forêt, bruits de tronçonneuses, tirs d’armes automatiques – issus d’un reportage de la BBC sur la situation tragique des Indiens —, cloches d’église, paroles d’Indiens Guarani, maracas et flûtes chamaniques… etc.). Au-delà de ces références, l’œuvre tente de raconter les luttes quotidiennes d’individus pour le maintien d’un espace vital nécessaire à l’expression de leurs cultures. D’où l’utilisation de l’amplification et de la spatialisation à des fins métaphoriques. Et de confronter l’auditeur à une certaine forme d’oppression auditive née de la réduction violente d’une image sonore répartie initialement dans un espace large et peu à peu écrasée jusqu’à un point unique central et étouffant (au milieu de la pièce). La matière sonore, elle aussi suit ce modèle. Magique et étrange, avec ces sonorités émanant de musiciens soufflant dans des bouteilles et articulant quelques phonèmes issus de rituels chamaniques. Phonèmes encore, au sein des sons mémorisés issus de la langue guarani, ici découpée et recollée comme une séquence digne de MTV; ailleurs, traitée électroniquement et s’agglutinant en «distorsions types» de notre époque lorsque ces paroles dignes se retrouvent compressées de manière extrême dans le temps. Restent alors les bribes énigmatiques d’une langue passionnante, extraites d’une interview d’indien guarani exprimant une belle leçon d’humanité:

Quand le créateur nous a créés. Il nous a fait différents de l’homme blanc. Notre langue est différente. Les blancs croient que les Mbya vivent comme eux, mais c’est impossible. Notre mode de vie n’est pas fait pour l’homme blanc. De sorte qu’ils ne pourront jamais le comprendre complètement. De la même manière, nous, au sujet de leur culture. Nous avons à vivre selon notre culture, même si cela est difficile pour nous. Alors, nous tentons de suivre notre voie dans tous les villages. Les blancs font tout ce qu’ils peuvent pour que nous nous façonnions à l’égal d’eux. Ils ne nous changeront pas, car ils ne sont pas des Dieux. C’est ainsi que nous l’imaginons. Une culture ne peut jamais s’assimiler/s’adapter à une autre culture. Même en apprenant la langue de l’autre nous ne serons jamais égaux. Si Dieu a créé les différences, nous devons les respecter. Une culture n’est pas meilleure qu’une autre.

L’œuvre fut écrite à la demande de l’ensemble Le Balcon. Elle fut créée par ses dédicataires sous la direction de Maxime Pascal le 25 février 2011 à Paris, Eglise Saint Merri. «La Terre sans Mal» résulte d’une Commande d’État Français. À consulter: http://www.survivalfrance.org/peuples/guarani.

Notes: 1. Cité par Alfred Métraux, Religions et magies indiennes d’Amérique du Sud, Gallimard, Paris, 1967.2. Musique Populaire Brésilienne (à base de danses traditionnelles du Brésil) 3. Lire aussi: Pierre Clastres, Le grand parler. Mythes et chants sacrés des Indiens Guarani, Editions du Seuil, Paris, 1975 /Hélène Clastres, La Terre sans Mal, Editions du Seuil, Paris, 1975.

Notice (en) : A Terra-sem-Mal (A Land-without-Evil) is not only a place of delights, it is also the only shelter that will occur at the end of the world, “Nan-derikey is above us. The day he will remove the feet under the earth, it will collapse. Today the earth is old and generations no longer thrive. We will revisit those who died. When night will come, the Bat will descend to exterminate them. This night will go down as the blue Jaguar devour us. There will also a Great Fire followed by the the Great Flood.” (1) So, the Guarani people today - ethnic group mainly divided between Paraguay and Brazil - tries to maintain the old myths. Over centuries, the search for Earth-without-this evil prompted the displacement of tribes. However, theses migrations are transmuted today and create sufferings. For the past decades, this nation has suffered greatly (and still suffer) from harm expropriations after multiple government needs to provide new lands for new farms (especially today for providing plants for bio-fuels). Uprooting, crimes against these populations, alcoholism and crimes have become the daily component of these people whose culture suffers from this situation.The desire to write this piece is part of my commitment as a composer involved in our problematic world. It arises from the wonderful fact that I had to teach in Brazil during the summers of 2008 and 2009. On this occasion, I was surprised to realize how the musicians of this country were not aware of the diversity of their local musical cultures. If the MPB (2) sweat from every street corner, Indian music (or at least their few survivors) remains mostly unknown. Hence my desire to look into it more closely, and its conditions of existence (and ultimately to those who practice it).Therefore, “The Land without Evil” (3) takes its root in this Indian music. Nevertheless, the work is absolutely not a pastiche or an ethnic transcription. Instead, it leans more towards a “electric” dimension, broadly contemporary, with many references of spectral analysis of Brazilian sounds (which make sense to our ears : forest sounds, chainsaws, firing automatic weapons - from a BBC report on the plight of the Indians - church bells, Guarani words, maracas and shamanic flutes, etc…). Beyond these references, the work tries to tell the daily struggles of these Indians in maintaining a vital space required for the expression of their cultures. Hence the use of amplification and spatialization as a metaphorical point of view. And confront the listener with some form of hearing oppression born of the violent reduction of the sound image initially distributed in a wide area and gradually crushed into a single point, central (middle of the room ). The sound also follows this pattern. Magical and strange sounds are coming from some musicians of the ensemble who are blowing into bottles and articulating some phonemes from shamanic rituals. Phonemes again, taken from a Youtube interview of few Guarani peoples, cut and edited at the end of the piece as a sequence in a MTV-style. Phonemes, at least, processed electronically and congregating in “distortions” of our time when these words are utterly compressed in time. Then remain enigmatic snatches of language, with a Guarani Indian expressing a great lesson in humanity: When the Creator created us. He made us different from the white man. Our language is different. Whites believe that the Mbya(s) live like them, but it is impossible.Our lifestyle is not made for the white man. So they will never fully understand it. Similarly, we, about their culture. We live with our culture, even if it is difficult for us. So we try to go our own way in all villages. Whites are doing everything in order to oblige us to live as they live. They did not succeed because they are not Gods. This is how we imagine. A culture can never be assimilated/adapted to another culture. Even learning the language of the other will never give equality.If God created the differences, we must respect them. A culture is no better than another. The work was written at the request of the Ensemble Le Balcon. It was premiered by its dedicatees under the direction of Maxim Pascal on February 25th, 2011 in Paris, Église Saint Merri. “The Land without Evil” results from a commission of the French State. Please, visit: http://www.survivalfrance.org/peuples/guarani. Notes: 1. Quoted by Alfred Métraux, Indian Religions and magic of South America, Gallimard, Paris, 1967. 2. Brazilian Popular Music (above all, the Samba) 3. See also: Pierre Clastres The big talk. Myths and sacred chants of Guarani Indians, Editions du Seuil, Paris, 1975 / Helen Clastres, La Terre sans Mal, Editions du Seuil, Paris, 1975.
Artiste impliqué
Nom Part Fonction Id éditeur Genre
Claude Ledoux Compositeur M