Titre en français : | Étude pour le «Palais hanté» |
Numéro de catalogue : | op 49 |
Année de composition : | 1904 |
Instrumentation (fr) : | orchestre |
Instrumentation (en) : | orchestra |
Notice (fr) : | M. Florent Schmitt, lorsqu’il fut à Rome en qualité de premier grand prix, n’oublia pas sa mère patrie — c’est une chose qui arrive — et il lui fit de copieux envois : le 1er mouvement du Quintette, des mélodies, le Combat des Raksasas, manuscrit perdu à Paris pendant l’inondation de 1910 (nous apprend M. Séré dans Musiciens Français d’aujourd’hui), le Palais hanté qui compta comme troisième envoi, et enfin quelques Feuillets de voyage, les Musiques de plein air et le Psaume XLVI. L’étude symphonique pour Le Palais hanté — œuvre 49, parue (Durand, édit.) en 1904 et dont une partition de poche fut éditée en 1910 — figure pour la première fois sur les programmes des Concerts Colonne mais fut exécutée le 8 janvier 1905 aux Concerts Lamoureux. Essayons d’en donner une esquisse. Dans la plus verte de nos vallées, par de bons anges habitée, jadis un beau et majestueux palais, — un rayonnant palais — dressait son front. C’était dans le domaine du monarque Pensée qu’il s’élevait! Et jamais séraphin ne déploya son aile sur un édifice de moitié aussi beau. Telle est la première stance du poème d’Edgar Poe qui a pour titre : le Palais hanté. M. Florent Schmitt s’est plu à noter symphoniquement les différentes dépendances de ce domaine du « monarque Pensée ». Aussi hâtons-nous de dire que n’apparaît dans sa musique nulle intention de réalisme pittoresque. S’il est permis d’entrevoir, concrètes, les images précises du poète, telles que les « bannières blondes, dorées, glorieuses », qui ondulent au faîte du château : [Exemple 1] il n’en est pas moins vrai que ce motif et tous ses appuis sonores et rythmiques acquièrent, par les transformations multiples qu’ils vont subir, la haute valeur symbolique que Poe a semblé prêter à la moindre de ses visions. Aussi M. Florent Schmitt en faisant passer celles-ci dans sa musique a-t-il pu les traiter avec une liberté entière, sans les suivre pas à pas, et — grâce même à cette aisance dans le développement — garder encore davantage l’esprit du poème, qui chante en définitive un glorieux disparu, le roi suprêmement sage : l’Art créateur… Nous assistons donc dans le poème d’Edgar Poe, comme dans celui de M. Florent Schmitt, à son triomphe serein, puis à son effroyable fin. En effet, une sorte d’introduction placide à 3/4 nous plonge immédiatement dans une atmosphère un peu fantastique. La phrase (1) émane de la clarinette basse, et s’entoure de sonorités voilées (quatuor en sourdine, puis harpe et timbales) très douces. De légères touches de cors et hautbois lui font des ombres quiètes : … (tout cela, c’était dans le vieux, dans le très vieux temps); et de chaque douce brise qui folâtrait, pendant les calmes journées d’alors, le long des remparts pavoisés et pâles, un parfum ailé s’exhalait. Un second thème paraît aussi dès les premières mesures, lancé par un lugubre basson : (2), [Exemple 2] répercuté par le cor anglais et montant jusqu’à la flûte. Puis, peu à peu, avec ces éléments, s’élaborent des mouvements plus chauds; les différents timbres se confrontent puis s’unissent. Un crescendo mène à l’entrée du thème (1) à la trompette, qui donne le signal d’un nouvel épanouissement : les bois, en grand tutti unisson, le jettent dans l’azur frissonnant du quatuor. Un fracas où dominent les cuivres aboutit brusquement à une rentrée joliment rythmée du motif (2) au hautbois, en fa mineur. Le quatuor l’enlace avec tendresse; l’allure se modifie promptement, rapide par intermittence; puis, élargie et retenue, comme hésitante. C’est la fièvre de la nuit. Mais cette fièvre tombe bientôt. Tandis que paraît la tonalité de si majeur, s’organise une symphonie aux contours nets et gras, aux valeurs variées, mais égales, aux rythmes disciplinés. Le quatuor accompagne, tranquille et un peu serré, une curieuse berceuse dont les cors bouchés et la harpe disent les principaux couplets, graves, heureux. Les voyageurs dans cette heureuse vallée, à travers deux fenêtres lumineuses, voyaient des esprits qui se mouvaient harmonieusement au commandement d’un luth bien accordé, tout autour d’un trône, où le maître du royaume apparaissait assis — vrai Porphyrogénète — en un éclat digne de sa gloire. Après ce moment de sérénité hautaine, l’orchestre s’éparpille davantage, chacun de ses individus ou chacune de ses familles évoluant plus librement; l’amorce du thème (2), entendue dès l’introduction, résonne ici étrangement, parmi les mille incidents de la fête grandiose, quoique jusqu’à présent assez discrète : mais une rudesse plus forte se précise. Voici le rythme quand il passe aux trompettes, violentes et impératives : (3) [Exemple 3] Un clapotis, comme arpégé des vois, surmonte cette déclaration, appuyée par des tenues de bassons et tubas, panachée d’un mouvement ascendant des violons et violoncelles, d’un trémolo des altos, aidée enfin par une grimace de harpe, un tamtam et des cymbale en crescendo foudroyant. Et toute constellée de perles et de rubis était la porte du beau palais, par laquelle coulait, coulait, coulait, en scintillant toujours, une troupe d’Echos, dont le doux devoir était seulement de chanter, avec des voix d’une incomparable beauté, l’esprit et la sagesse de leur roi. Ici commence un assez long développement, basé toujours sur les deux formes citées, mais souvent en diminution ou en augmentation, et dans ses tonalités diverses, mais centralement reliées au ton de fa mineur. Progressivement une irritation sourde s’annonce par des accents plus saccadés de cuivres, des glissandi montants de harpes, des bouillonnements brefs dans le quatuor. Celui-ci dessine, à l’unissons, une sèche figure mélodique. Une catastrophe se prépare, un orage terrible éclate dans la famille des cuivres et grince effroyablement chez le sarrusophone et la clarinette basse. Une pluie brève et insolente tombe des petites flûtes jusque sur les contrebasses en traversant tous les compartiments instrumentaux. Mais le tumulte brusquement s’apaise. Les contrebasses continuent à gémir sourdement, pendant que les bois, puis l’harmonie, se réunissent promptement en un faisceau rythmique unique, progressivement rageur. Mais des êtres de malheur, en robes de deuil, assaillirent la haute demeure du monarque. — Ah! pleurons! — car jamais lendemain ne se lèvera sur lui, le désolé! — Et tout autour de son foyer, la gloire qui s’empourprait et fleurissait n’est plus qu’une histoire obscurément rappelée des vieux âges ensevelis. Mais dans la symphonie, nous voyons une douleur et une plainte virile, beaucoup plus qu’un deuil attendri ou qu’un regret découragé. La colère semble sortir de cet orchestre puissant, tout à l’heure joyeux et bon. Ce contraste est très violent, d’autant plus que, longuement préparé par des rythmes assez significatifs, l’orage est court; que c’est la conclusions de la pièce et qu’enfin une accalmie brève pouvait faire prévoir un retour à la paix, tandis qu’au contraire se déchaîne un galop funèbre plein de courroux et de hurlantes menaces. Et maintenant, les voyageurs qui parcourent cette vallée, à travers les croisées aux lueurs rouges, voient de vastes formes qui se meuvent fantastiquement aux sons d’une discordante mélodie; pendant que, semblable à une rapide et fantastique rivière, à travers la porte pâle, une hideuse multitude se précipite sans cesse, éclatant de rire, — mais ne pouvant plus sourire. En insérant, au cours de la description sommaire de cette œuvre, le texte du poème d’Edgar Poe, par fragments, nous n’avons pas prétendu le mettre en regard de la musique; car ce poème symphonique est des plus indépendants. Mais, la source profonde de son inspiration nous a semblé de nature à pouvoir se séparer par stances, sans altérer ni l’unité de l’œuvre poétique ni celle de la symphonie, qui ont chacune leur plan bien distinct. Entre autres différences, il nous a semblé que M. Florent Schmitt s’était surtout complu à épiloguer sur le règne de la Beauté aux parfums souverains, aux gestes harmonieux, aux esclaves disciplinés, qui vivent selon le principe éternellement vivant de la Fantaisie, de l’Imagination. Car tel est, à notre avis, le sens symbolique du poème de Poe. « Des êtres de malheur » ont tué ce bon monarque… tandis qu’aux portes du palais hanté, une hideuse multitude se précipite sans cesse, éclatant de rire — mais ne sachant plus sourire! Et la conclusion musicale de M. Florent Schmitt nous semble parfaitement s’harmoniser avec cette péroraison, mais en outre elle contient une promesse de résurrection, un espoir de retour pour le bon et vieux monarque. Ainsi soit-il. [GC5-5] |
Nom | Part | Fonction | Id éditeur | Genre |
Florent Schmitt | Compositeur | M |