Informations
Titre en français : Symphonie no 1
Numéro de catalogue : op 13
Tonalité : Mi bémol majeur
Année de composition : 1905
Instrumentation (fr) : orchestre
Instrumentation (en) : orchestra
Notice (fr) : Les lignes générales de cette Symphonie accusent plutôt un respect pour la coupe classique. Et pourtant sa richesse polyphonique et orchestrale, la franche variété de ses sujets, et sa rythmique abondante et neuve lui donnent une couleur vraiment originale.

 

L’œuvre est en trois parties. Le premier mouvement : Assez vif et bien rythmé est construit sur deux thèmes ou plutôt sur deux idées directrices. La première, (a) :

 

[Exemple 1]

 

se scinde en trois fragments, qui séparément vont reparaître; l’un, le premier, s’insinue tout le long du morceau, comme une obsession rythmique; les deux autres, plus mélodiques, sont particulièrement expressifs et servent au développement contrapuntiques de la suite, revêtant une quantité d’aspects, mais demeurant toujours reconnaissables.

 

L’idée entière vit intensément par une mâle vigueur. Elle fait place à l’exposition d’une toute autre phrase, séductrice et féminine (après un épisode quasi-humoristique, au basson). Voici cette phrase (b) :

 

[Exemple 2]

 

À sa tendresse s’allient, dès son apparition, des fragments du premier thème. Elle aboutit à un épisode voluptueux en si bémol, sous forme de « valse ». Une modification du deuxième fragment du premier thème sert ensuite de transition pour amener le développement où, très après, bataillent les éléments que nous avons indiqués.

 

Le retour du deuxième thème explose au ton de la dominante, suivi de la rentrée du premier, élargi et formidable aux trombones sur un fff de tout l’orchestre. Puis, seconde réexposition moins large et dans le grave; enfin, troisième et claire reprise de l’idée primitive. Le motif de « valse » fait une rentrée momentanée et c’est après un tumulte très vivant que se clôt le mouvement par une fanfare brillante, tandis que les basses s’obstinent dans le dessin rythmique (1) de l’idée initiale (a).

 

Le deuxième mouvement, Lent, en si majeur, est d’allure plus complexe. En analogie avec les Nocturnes de Chopin, il est composé de trois parties dont deux majeures sont séparées par une autre, mineure, la troisième allant de la dominante à la tonique. Cette construction rappelle aussi la division thématique et modale de l’ancien Trio. Ces trois parties sont précédées d’une introduction reparaissant comme coda. Celle-ci contient deux idées mélodiques dont l’une est un motif conducteur circulant dans toutes les parties du mouvement  «ré do si, ré do si, ré do si »; (neuf croches). Elle est dite d’abord par le cor. Un hideux croassement harmonique lui fait suite. Les fragments du premier thème de la première partie viennent, déformés, d’y faire encore une place. Suit une modulation appelant le premier thème (quatuor, bois et harpes) (c) :

 

[Exemple 3]

 

Un épisode se place après cette première période. Flûtes, cor anglais, bassons chantent une phrase pathétique, au-dessus d’un accompagnement pizzicati du quatuor (formule du motif directeur de tête : ré do si). Les harmonies expressives abondent ici, avec des rythmes oppressés. Une série de modulations dans lesquelles le thème précédent se présente va graduellement jusqu’à une exaltation orchestrale où les violons ascensionnent sans trêve. Puis le calme se fait par teintes successivement plus effacées. Le croassement du début est réentendu. Un alto lyrique en a raison. Mais les trois notes survivent jusque dans la péroraison. « Un accord, écrit M. A. Casella, un souffle plutôt, composé de sons harmoniques de 2 altos et de 4 violoncelles, et voici finir cette étrange rêverie empreinte d’un fatalisme troublant, de l’origine orientale duquel on ne pourrait plus douteur après cette coda (ou épilogue), véritable : « c’était écrit » du narrateur musicien… »

 

La troisième partie, Vif et vigoureux, est toute lumière et vie. C’est ainsi que le quatuor débute, (d) :

 

[Exemple 4]

 

Le second thème passionné après avoir chanté seul, s’amalgame avec la première idée. Un épisode ardent se présente suivi d’un long decrescendo et du développement quasi fugato où l’on retrouve trace d’un fragment du premier thème. Le cadre thématique très sévère contraste avec les nombreuses et riches modulations qui aboutissent à un chaud et sonore si bémol mineur, sommet d’où nous redescendons à un pp, fait des fanfares du début, lointaines, con sordini, en ut mineur. Après quelques oscillations tonales portant vers mi bécarre majeur, le premier thème est réexposé en partie et sert de pont à un nouveau développement où le quatuor lutte violemment contre le reste de l’orchestre. De cette polyphonie jaillit le second thème, tragique (e) :

 

[Exemple 5]

 

Alors les clameurs, les plaintes et les enthousiasmes se succèdent, à travers des rythmes impulsifs et innombrables. Le premier thème aux violons dans l’aigu sert de pédale supérieure, tandis que les trompettes victrices montent un chemin glorieux et apothéotique.

 

Sans vouloir empiéter sur le terrain de la critique — qui est pour nous la zone dangereuse — nous voudrions résumer brièvement la conclusion d’une très importante étude que M. Alfred Casella a consacré à cette œuvre. Signalons donc les principales caractéristiques esthétiques et techniques de cette Symphonie. Tout d’abord, il semble que M. Enesco n’ait rien innové au point de vue de la « forme » : « les grandes lignes de la forme beethovénienne » lui paraissent « suffisamment élastiques pour permettre de s’en servir comme canevas à de nouveaux tissus musicaux ». Par contre, il s’attache à faire régner dans son œuvre l’« unité de style » due à « l’unité des thèmes » qui tous présentent la même individualité. « Quel contraste — écrit M. Casella — avec la plupart des symphonies modernes, où un thème d’origine liturgique voisine avec un thème de source populaire, où une première idée vaguement « beethovénienne » est suivie d’une autre provenant de l’Institut. » Mais si originale que soit la technique de M. Enesco, on peut trouver à celui-ci des ascendants. Il semble avoir hérité de Brahms la « faculté de développement symphonique ». À vrai dire, il ne s’agit même plus de « développement » ni de répétitions et de transformations de thèmes mais bien plutôt de « pulvérisation tant est infini le nombre d’aspects que le créateur » sait donner aux thèmes. Quant à l’instrumentation de cette œuvre, elle procède de la technique chère à Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Berlioz, Debussy, Rimsky, Balakirew, Mahler qui veulent garder à chaque instrument « son timbre individuel ». D’ailleurs, l’orchestration de M. Enesco est avant tout « la conséquence de sa musique ».

 

[GC3-195]

Artiste impliqué
Nom Part Fonction Id éditeur Genre
Georges Enesco Compositeur M