Informations
Titre en français : Jeux
Année de composition : 1912
Instrumentation (fr) : orchestre
Instrumentation (en) : orchestra
Notice (fr) : Autant, et peut-être plus qu’ailleurs, le musicien ici s’efforça — croyons-nous — à suspendre aux portées de son orchestre des suggestions sonores beaucoup plus que des desseins précis et surtout rythmiques. Non que le rythme ne joue un rôle immense dans la succession de ces symphonies, mouvementées pour la plupart, et chaudes. Mais il est beaucoup plus intérieur qu’apparent et ne ressort plus, par lui-même, de son cadre. Il doit sa vie et sa signification propre à l’ensemble des coloris. Les lumières instrumentales complexement distribuées accélèrent ou ralentissent sa vie propre selon des modes que n’ont certes jamais connus les prédécesseurs de M. Debussy. C’est pourquoi sans doute une affabulation du poème Jeux put être dansée dans un esprit peut-être éloigné de la conception première du musicien, mais qui ne sut être choquant pour quiconque. Car, l’aliment fourni à l’imagination par des agrégats sonores variés où se jouent, se noient, et surnagent cent molécules de vie rythmique, cet aliment est transformable à l’infini pour chaque auditeur sans que sa substance intime d’ailleurs change jamais en rien. Nous allons dire rapidement le scénario imaginé, pour sa danse, par Nijinsky, et noter quelques moments plus significatifs dans l’orchestre. Pour une œuvre aussi riche en thèmes ondoyants, il ne saurait être utile, comme pour la symphonie ou le poème symphonique, de citer tous les sujets, qui du reste n’obéissent qu’à une harmonieuse et globale fantaisie.

Nijinsky profita de ces Jeux pour styliser — a-t-on dit — les attitudes sportives d’un joueur de tennis et de joueuses coquettes. L’on peut sans inconvénients adopter cette vision commode, que ne peut contredire le Scherzando à 3/8 où se balancent mollement les violoncelles et les bassons, en alternance avec un tambour de basque, et une cymbale étouffée. Le préambule, très lent 4/4, peint rêveusement un état d’âme, ou un paysage, calme et tendre: ligne fine du quatuor immobile, haut perché, pointes d’harmoniques aux harpes, étoffés par un cor paresseux, mouvements en blanches mélodiques tombant des bois. Une gamme chromatique brusque: la première balle est lancée. La partie qui s’engage ne va pas sans arrêts, sans heurts, sans rires entrecroisés. Division à l’extrême du quatuor pizzicato, intervention brusque des trompettes sourdine, gammes en tierces des harpes, montées en quartes des flûtes, parmi les gloussements des clarinettes; tous ces jeux instrumentaux attirent l’attention, concurremment avec les sept ou huit figures courtes qui se répètent, dans un ordre capricieux; elles sont naturellement très mobiles d’aspect, mais toujours dans une atmosphère de laisser-aller gracieux, poli. Le joueur de tennis flirte — d’après le défunt Théâtre des Champs-Élysées — avec l’une de ses partenaires. Des fluctuations nombreuses de mouvements se succèdent, où folâtrent des arpèges, des trilles, de sourds pizzicati des basses. Une reprise du balancement tranquille évoque un repos sur la pelouse, où le trio des joueurs se repose. Mais, les jeux vont changer alors. Ce sont des poursuites, des appels, des interrogations, des grimaces. Un ensemble mélodique des cors, à 2/4, promène notamment une nostalgie aristocratique au-dessus des agaceries d’une trompette bavarde dans le grave (doublée par un basson) et parmi les menues fanfreluches du célesta et des bois. La seconde joueuse est à juste titre jalouse d’un manège qui semble l’ignorer. Elle s’efforce à piquer le trop galant sportsman. La partie à 3/8 se réorganise, des élans fous, un peu rageurs, puis une plainte, et des capricieuses bouderies. Le combat s’intensifie. Bien des coups portent. Un petit air moqueur du cor anglais se répercute en nombreux échos. L’animation s’accroît. Pour calmer la jalouse, le jeune homme a trouvé le seul moyen: sourire et coqueter avec les deux jouvencelles. Les incidents de la partie de tennis n’en sont que plus compliqués. Le quatuor frissonne. Des fâcheries subites, des raccommodements s’opèrent. Les flûtes comme des oiseaux caquètent, des traits incisifs de trompettes ne sont pardonnées qu’à moitié par les premiers violons. Mais c’est le soir sans doute. Tous les jeux doivent cesser! Une rapide série de dégradés résonne. Une grande plongée des violons; les harpes d’un trait remontent au zénith, quatre pizzicati haletants, et le mouvement rêveur du prélude plane sur un ciel gris, orageux, menaçant, mais tendre. Les murmures étranges des seconds violons, les roulements lointains des timbales soutiennent la mélopée des quatre notes sol, ré dièse si, ré dièse sol!

[GC5-306]

Exécution : 329041
Artiste impliqué
Nom Part Fonction Id éditeur Genre
Claude Debussy Compositeur M