Titre en français : | Paix |
Titre en anglais : | Peace |
Année de composition : | 1972-73, 2001 |
Durée : | 2h 31min 39s |
Notice (fr) : | Shânti («Paix») * [Son d’introduction] Kâma-Shânti (pré-concert: env. de 15 à 30min) I - [Partie d’ouverture] II - [Partie d’extension] III - [Partie centrale] IV - [Partie finale] * - [Son de prolongation] Kâma-Shânti (post-concert: env. de 15 à 30min) Production - réalisation: Studio für Elektronische Musik, Westdeutscher Rundfunk (WDR), Cologne (1972-73) Shânti, mot sanskrit, signifie “Paix”. C’est d’abord la paix du mental, la paix suprême recherchée par les yogin. Ou encore la paix psychique, affective, de l’être. C’est aussi la paix politique ou la paix des forces physiques, de la nature, de l’univers. Mais pour moi, aucun concept ne saurait exister, dans le monde, sans son contraire, son principe antagoniste. Dans ce cas: les forces d’oppositions, de révoltes, de “guerres” (au sens large), qui sont aussi bien les coups sourds d’un volcan que les barricades étudiantes… Shânti est donc pour moi cette paix sans cesse remise en cause (et finalement impossible, car la fin des antagonismes et de leurs luttes serait la fin du monde): la Paix au sens Héraclitéen, qui suppose toujours la lutte, la violence comme condition du monde, le rapport dialectique des choses. D’où cet incessant cheminement, une recherche éternellement poursuivie, un but parfois atteint, souvent seulement entrevu: parcelles d’éternité entre deux nuages… Qu’on ne se trompe donc pas: Shânti n’est en rien la paix installée, présente, “planante”. Il faut aller à sa recherche en s’enfonçant progressivement dans le son, de longue séquence en longue séquence. Toute la forme de cette œuvre est une lente et permanente spirale, illimitée… La “musique de méditation” s’écoute en se plaçant dans une grande disponibilité de l’être. Au besoin, fermer les yeux, ou faire l’obscurité, peuvent aider. Dans une lettre personnelle, Karlheinz Stockhausen recommande: «… le gros problème est de trouver un bon lieu, qui vous garantisse toute une soirée, dans lequel le public serait, dans la mesure du possible, peu dérangé, et que lui-même ne dérangerait pas… Il faut fermer les yeux et écouter. À mon avis, il n’est plus nécessaire de voir quelque chose… Le mieux serait de fermer les yeux, et de se mettre dans une position assise complètement détendue… À mon avis, dans cette œuvre-là, les yeux n’ont besoin de rien…». La première version de Shânti a été réalisée en 1972-73 au Studio électronique du WDR de Cologne. Pour le concert, j’ai ajouté, fin 1973, une partie supplémentaire (“Shânti II; méditation-mémoire”), pouvant venir s’insérer, comme une énorme parenthèse, immédiatement après la bobine I (première face de ce disque). Dans cette partie, de nombreuses citations parlées de Shrî Aurobindo sont mélangées aux sons électroniques et concrets, ainsi que des poèmes de Mao Tse-Toung en langue chinoise, des mots hindi, l’interview d’une jeune fille familière de l’inde […]. Étant donné qu’il s’agit d’une musique absolument continue, sans aucune interruption du début jusqu’à la fin, le découpage sur disque constitue forcément une altération, gênante, du type de perception souhaitée. J’ai cependant veillé à ce que chaque face soit centrée autour de zones bien caractéristiques, et que les fins de faces soient aussi peu brutales que possibles, afin d’en faire comme les “actes” d’un processus. ~~ Face I: elle possède comme pôle principal un groupe de “slogans” (américains- français), et représente le versant de la rébellion, de toute force qui conteste un ordre quelconque des choses. Au début, à l’extrême aigu, c’est un peu le lointain à peine entrevu d’un monde d’où seuls parviennent quelques signes énigmatiques (cellules un peu “morse”, qui préfigurent les slogans eux-mêmes). Lorsque des masses sonores très continues et larges font leur apparition, un texte extrêmement “cassé”, brouillé, est mixé: c’est la voix d’Eldridge Cleaver (alors leader du “Black Panther Party”), enregistrée sur le campus de Berkeley en 1968. La montée de sa protestation amène l’explosion violente des slogans. Plus tard, après des sons aigus d’une extrême agressivité, ces slogans, en s’éloignant, forment une agglomération presque “folle”, délirante. Puis, progressivement, s’adoucissent, deviennent chants, choeurs lointains, rapports harmoniques simples: c’est le souvenir des slogans, qui continue longtemps encore sur de larges surfaces répétitives, obtenues par d’immenses “feedbacks” filtrés de matériaux de “mer” (vagues). C’est le regard vers les forces de la nature, vers la méditation, vers soi… Apparition du premier son extrême grave, fixe, ou son de méditation (citation de Shrî Aurobindo). Face II: le “son de méditation” commence lentement à bouger. Il se fait voix profonde, lente invocation (la relation avec certaines formes vocales Indiennes, Tibétaines, ou Japonaises, est assez nette dans le traitement donné à ce son). Autour de la tension montante de ces modulations très graves, s’organisent des “paysages” presque cosmiques: étoiles filantes, petites lumières lentement répétées, tissus d’impulsions… Une voix récite tous les noms des étoiles, comme en chapelet, “à l’Arabe”… Après un long développement, la complexité de cette séquence se résorbe lentement, est comme absorbée par un point fixe: timbre grave et chaud, lourd, riche, qui s’amplifie par paliers, s’amplifie encore, jusqu’à la plus grande présence. C’est le “son de grandes octaves”, immense! Il commence lentement à tourner sur lui-même, à se balancer d’avant en arrière, charriant avec lui des bouffées de cris, de hurlements sonores, chaque fois plus dense. Cette haute intensité mène à l’éclat d’un glissé vers l’aigu “arraché”, à partir duquel tout le travail va basculer vers une énorme agitation. C’est le déchaînement de toutes les forces violentes de l’univers, ponctué par d’immenses glissés “en piqué”, bientôt suivis de sons électroniques à caractère de lamentations tendues… Face III: elle prolonge la précédente par l’accumulation de figures fabriquées par “voltage-control”, et retravaillées de mille manières. De temps à autre, des chants militaires viennent s’insérer dans ces textures. (Dans la version de concert, une courte bande stéréophonique - utilisant une scène quasi-comique de cour de caserne - sert d’entracte et permet de changer les grosses bobines sur le magnétophone 4 pistes. Celle-ci a été omise sur le disque, le mixage pouvant se faire directement). Après cet épisode militaire (des modulations à travers un générateur d’impulsions fonctionnant à haute vitesse permettent de les faire chanter “faux”) c’est toute la longue partie finale qui commence par un paysage surréaliste calmé… Les “oiseaux” que l’on croit entendre sont essentiellement électroniques. Les “cloches” que l’on croit entendre plus tard sont également des sons électroniques spécialement traités. Seule la silhouette du rythme ralenti de la mer impose son “moule” à quelques agglomérats de sons. Puis vient le “feu craquant”, multiplié par les filtres, les feedbacks… Face IV: elle reprend le “son de contemplation” (amorcé sur la fin de la face précédente). C’est alors un long développement méditant à plusieurs pôles, qui mènera à quelques voix d’enfants qui jouent, puis au silence… Dans les sons graves aux résonances profondes, douces, qui succèdent au silence, s’établit peut-être, pour un instant, l’état de Paix tant recherché, ou son début: comme lorsque le silence nous apporte la mémoire du déjà vécu, ou du lointain à vivre… Transformées, assourdies, mais reconnaissables, des bouffées-souvenirs de divers moments de l’œuvre viennent se mixer dans la longue procession montante qui commence. Celle-ci s’amplifie, continue, s’intensifie à nouveau violemment (des effets spéciaux du 4 pistes donnent l’impression d’une foule “martelant” quelque chose, dans les sons mêmes), jusqu’au très vaste “glissé à l’infini”, dont le pouvoir est de faire perdre conscience du temps (écouter le disque de préférence à très haut niveau…). C’est un peu le “Pralaya” de l’Inde, la dissolution finale de tous les conflits, “broyés” dans un mouvement de l’échelle cosmique. Toute la fin, ensuite, remonte aux sources extrêmes aiguës du départ de l’œuvre, et, la refermant sur elle-même, en fait un cycle pouvant à nouveau recommencer… ~~ Shânti a nécessité plus de six mois de travail très intense en studio, pour la seule production électronique. Je remercie donc la direction du WDR pour les précieuses facilités techniques offertes. Dans sa totalité, cette œuvre est dédiée à Karlheinz Stockhausen, en témoignage d’amitié et de profonde gratitude. Par ailleurs, chacune des faces du présent enregistrement est offerte en amical hommage à une personne ayant participé au travail: Face I, à Peter Eötvös, compositeur, assistant-réalisateur au studio du WDR. Face II, à Luz Estella Santos, musicienne, assistante au studio du WDR. Face III, à Volker Müller, ingénieur principal du studio du WDR. Face IV, à Françoise Campo, qui a bien voulu m’aider de sa voix pour faire parler Shrî Aurobindo. Mais je l’offre aussi à tous ces auditeurs qui, de Chicago à Tokyo, de Kyoto à Sâo Paolo, de Rio de Janeiro à Berkeley, et dans bien d’autres endroits, sont venus me prouver, par leurs réactions, leurs paroles, que la pratique de la musique, aujourd’hui, peut échapper au «concert» traditionnel, engager davantage les consciences, agir et aider à la transformation vers l’autre homme, plus universel, que nous devenons chaque jour davantage. —Jean-Claude Éloy, Paris, mai 1978 Texte rédigé pour l’album Shânti publié par Erato (STU 71205-6). |
Notice (en) : | Produced at Studio für Elektronische Musik, Westdeutscher Rundfunk (WDR), Cologne (1972-73) Shânti is a sanskrit word meaning peace. It is above all Spiritual Peace, the supreme Peace that yogis strive for; it is also the psychic and emotional peace of the individual. It is political peace and peace found in Nature and the physical elements of the Universe. However, for me, no notion can exist without its opposite, its antagonistic counterpart. I mean rebellion and war in the largest sense, from the muffled explosions of a volcano to student barricades… Therefore for me, Shânti is peace in constant flux (because without antagonism and struggle the world would simply end). It is the dialectic nature of things with struggle and violence. It is peace in the Heraclitian sense. Hence the continual progress, the eternal search for the elusive goal, sometimes glimsed at and very occasionally attained: the glimmer of eternity… It would be a mistake to think that Shânti was in anyway a stable or continuous peace. We have to look for it in the sound, in each of the long sequences. The whole form of this music is a slow and permanent spiral, with no limit… The best way to listen to this “meditation music” is to be completely relaxed and open. It is a good idea to close your eyes or darken the room. Karlheinz Stockhausen talking about this work in a letter said “… the biggest problem is to find a suitable place for the audience to listen, where they can listen for the whole evening without any disturbance… You must close your eyes to listen. In my opinion there is no longer any need to see things… it is best to close your eyes, sitting in a relaxed position. The eyes have really no use…”. The original version of Shânti was composed in the WDR Electronic Music Studios of Cologne in 1972-73. At the end of 1973, I added another part (“Shânti II; Meditation-memory”) for concerts, to used as a huge parenthesis straight after the first tape (side one of this record). Texts by ShrÎ Aurobindo, Mao Tse Toung in Chinese, Hindi words, and an interview with a young woman familiar with India are all heard mixed with electronic sounds […] . Due to the fact that the music is heard on records, there is an unfortunate interuption between sides, whereas the music should be listened to as a continuous whole. I have made sure however that each side corresponds as far as possible to characteristic musical areas, and that the end of each side is as smooth as possible, giving a result rather like a series of “Acts”. ~~ Side I. The centre of interest in this section is a series of political slogans (French and American) representing the side of Rebellion; any force contesting any given Order. First we hear some rather enigmatic high-pitched sounds as if with difficulty from a distant world (a type of morse- code anticipating the slogans). Following this there is a mixture of extremely confused texts with strong continuous sounds. We hear the voice of Eldridge Cleaver (then leader of the “Black Panther Party”) recorded on the Berkeley Campus in 1968. As Cleaver’s voice mounts in tension there follows a loud explosion of slogans. Later, after some aggressive high pitched sounds, the slogans become distant and transform into a sort of “crazy” mumbling. These become progressively softer and change to singing, distant choirs, with simple harmonic relationships. The memory of the slogans is recalled by a continual use of long and repetative areas, obtained by feedback and filtered with wavelike material. The direction taken is toward Nature’s forces, toward meditation, toward one’s Self… Here we have the first appearence of a very stable, low pitched sound or meditation sound (Shrî Aurobindo). Side II. The “meditation sound” begins gradually to move. It becomes a deep voice, a slow invocation (the relationship between the treatment given to this sound and some Indian, Tibetan and Japanese voice forms is obvious). Cosmic landscapes are created around the increasing tension of this deep modulating sound: shooting stars, tiny lights blinking slowly, impulsive material… A voice intones a list of the different names of stars in a mechanical way. After a long development, the complexity of this section is slowly resolved, as if by a fixed point, whose timbre is warm and deep, rich and heavy. Stage by stage it increases until its presence is complete. This is the enormous “large octaves” sound! It turns around on itself, with a back and forth movement, carrying wisps of cries along with it, screaming sounds becoming thicker and thicker. The intensity builds up to an enormous slide up to the higher pitches, from where everything will overbalance into wild agitation. The entire forces of the Universe are let loose, punctuated by huge falling slides, soon to be followed by electronic sound of intense lamenting… Side III. This is an extention of the preceeding side, with an accumulation of voltage controlled figures, reworked in a multitude of ways with military songs interspersed from time to time. (in the concert version, a short two track tape with a sort of military parade ground farce is used as an “intermission”, and allows the changing of the large tapes on the four track recorder. It is not on this record, as the two reels were mixed directly). After the military sequence (an impulse generator was used to make the singing off-key) we find a surrealistic but calmed scenery… The “birds” we imagine hearing are in fact electronic sounds. The “bells” we imagine hearing are also in fact electronic sounds specially treated. A few of the sound groups are moved by the outline of a slow undulation rhythm like the sea. Then comes the cracking fire, multiplied by feedback and filters. Side IV. The “contemplation sound” (having been prepared at the end of the third side) is again heard, followed by a long meditative development gravitating to different places, ending with a few voices of children playing, then to silence… The longed for Peace, or perhaps its beginning is hinted at in the deeply resonating sounds that follow the silence: just as silence reminds us of past events, or of things that will happen… Snippets of souvenirs, recognizable but transformed fragments of the work are here mixed in with the long procession of accumulation. It amplifies, continues, and again intensifies violently (the special effects of the four track tape give the impression within the sound of “hammering” by the crowd) until the enormous “slide to infinity” which is intended to make the listener loose his sense of time (it should be listened to at a high volume). It is like the “Pralaya” of India, the final dissolution of all conflicts, mixed-up on a cosmic scale. The whole of the end section returns to the extreme high pitched source heard at the beginning of the work, closing in on itself. In fact the cycle can be started again… ~~ More than six monthes of very intensive work in studio as gone into Shânti, only for its electronic production. I would like to thank the directors of the WDR for the indispensible technical facilities offered. The complete work is dedicated to Karlheinz Stockhausen as an expression of friendship and deep gratitude. In addition, each side of this recording is offered in hommage to those having helped in the work. Side One, Peter Eötvös, composer and assistant at the WDR studio. Side Two, Luz Estella Santos, musician and assistant at the studio. Side Three, Volker Müller, chief engineer at the studio. Side Four, Françoise Campo, who happily performed the voice parts of Shrî Aurobindo. But I would particularly like to offer hommage to all those listeners, from Chicago to Tokyo, Kyoto to Sao Paolo, Rio de Janeiro to Berkeley and many other places, who have convinced me by their reactions, their remarks, that today’s music can go beyond the simple concert hall, can reach the conscience more deeply, and stimulate and help the transformation toward that other, more universal man that we are becoming day by day. —Jean-Claude Éloy, Paris, May 1978 Text written for the LP Shânti released by Erato (STU 71205-6). Translated from the original French by Andrew McIntyre. |
Rédacteur (fr) : | [source: reseauxconcerts.com] |
Rédacteur (en) : | [source: reseauxconcerts.com] |
Exécutions : | 21583, 22218 |
Nom | Part | Fonction | Id éditeur | Genre |
Jean-Claude Éloy | 100% | Compositeur | M |