Informations
Titre en français : Gaku-no-Michi
Année de composition : 1977-78, 2001, 06
Durée : 4h 1min 49s
Instrumentation (fr) : bande stéréo
Instrumentation (en) : stereo tape
Dédicace (fr) : À Wataru Uenami
Dédicace (en) : To Wataru Uenami
Notice (fr) : Gaku-no-Michi («Les Voies de la musique» ou «La Voie des sons»)

* - [Son d’introduction] Pachinko (env. de quelques minutes à infini)

I - Tokyo: La Voie des sons quotidiens (Du concret à l’abstrait) (env. 50min)

II - Fushiki-é («Vers ce qui n’est pas connaissable»): La Voie des sons de méditation (De l’abstrait au concret) (env. 75min)

* - [Son d’immobilisation] Mokuso («Contemplation») (env. de 2min à infini)

III - Banbutsu-no-Ryudo («Le flot incessant de toutes les choses»): La Voie des métamorphoses du sens (Du concret au concret) (env. 30min)

IV - Kaiso («Réminiscence»): La Voie du sens au-delà des métamorphoses (De l’abstrait à l’abstrait) (env. 40min)

* - [Son de prolongation] Han (env. de 15min à infini)

Production - réalisation: Denshi Ongaku Studio (Electronic Music Studio), Nippon Hoso Kyokai (NHK), Tokyo (1977–78)


La musique du non regard

Gaku-no-Michi (prononcer; «Gakou», et «Mitchi») a été réalisé en 1977-78 à l’invitation du Studio de Musique Electronique de la Radio NHK (Nippon Hoso Kyokai) à Tokyo. Cette œuvre - souvent qualifiée de «fresque électroacoustique» en raison de ses proportions inhabituelles - est dédiée à Wataru Uenami: ancien directeur du programme musical et du studio électronique de NHK-Tokyo, grâce à qui j’ai pu réaliser en toute liberté ce poème de sons et de matières, dont le développement, pour le porter jusqu’à sa configuration finale, à entraîné trois séjours de travail de plusieurs mois chacun, soit plus de 1.200 heures de studio.

C’est en effet l’un des nombreux paradoxes de l’activité de musique contemporaine qui m’a conduit à aller travailler au Japon plusieurs fois dans ma vie, non pas tant pour y poursuivre une quête spirituelle parfois illusoire, mais bien parce que certains responsables (hommes d’ouvertures culturelles acceptant les directions de mes choix) m’y proposaient des moyens de productions, des projets, fondés sur une grande liberté d’approche et de conception de l’œuvre à faire, notamment dans le profil de l’inter-culturalisme: rencontre des cultures à l’époque très combattue, ici, en France, par une certaine musique contemporaine établie.

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Le titre Gaku-no-Michi signifie: «Les Voies de la Musique». Plus largement, on pourrait l’interpréter comme «La Voie des sons». C’est tout naturellement que je me suis inspiré, pour cette œuvre, de l’environnement dans lequel il m’était proposé de vivre et travailler: celui de la ville de Tokyo, celui du Japon. L’idée motrice de la construction formelle de Gaku-no-Michi est celle du cheminement; de la quête illimitée vers quelque chose, et à travers les choses. Dans le cas présent: les sons, les matériaux sonores, leurs significations entrecroisées, puis métamorphosées, parfois même totalement inversées par la magie des processus infinis du studio électronique.

C’est plus spécialement la présence de l’idéogramme «Michi» qui implique cette direction. Sa deuxième prononciation (en Japonais d’origine Chinoise) est: «Dô», qui n’est autre que le fameux idéogramme Chinois «Tao» (les Chinois, pour traduire les idéogrammes de Gaku-no-Michi, disent: «Le Tao de la musique»). D’où le fait qu’il faut s’installer dans l’œuvre et vivre sa durée, son devenir, ses contradictions, ses oppositions; être disponible pour l’absorber, si l’on veut vraiment la comprendre.

C’est tout le contraire des musiques dites «de méditations», associées souvent à tort aux pratiques du Zen, aux disciplines du Yoga, etc. qui se doivent d’êtres suffisamment effacées et neutres pour simplement servir de toile de fond à une méditation toute personnelle. Ici, c’est l’œuvre, au contraire, qui propose à l’auditeur sa propre dimension, son propre devenir, sa propre «méditation-réflexion» par et à travers les puissances du son. C’est à ce seul devenir de l’œuvre que l’auditeur est invité à s’associer. Rien d’autre.

Mais c’est aussi la musique du non-regard. Pendant les années soixante-dix, j’avais été confronté à plusieurs reprises aux comportements déconcentrés et destructeurs de certains orchestres symphoniques. Mes œuvres «Kâmakalâ», «Fluctuante-Immuable», s’étaient trouvées à diverses reprises totalement dénaturées par la vision que donnait aux auditeurs le spectacle d’interprètes confrontés à des difficultés non maîtrisées, hostiles à l’œuvre. Au contraire, avec des œuvres entièrement réalisées en studio - comme «Shânti» ou Gaku-no-Michi -, je pouvais offrir à l’auditeur une grande architecture à écouter sans voir, sans être invité à rien regarder. L’intensité de la perception auditive (pour ceux qui acceptent d’être hors du concert standardisé) s’en trouvait, de mon point de vue, considérablement renforcée, étendue.

En donnant à Gaku-no-Michi le sous-titre: «film sans images pour sons électroniques et concrets», j’ai souhaité évoquer le fait que dans cette œuvre, il y a histoire (au sens second), signifiés sous-jacents, dramaturgies, jeu des contrastes, dialectiques de forces et «caractères» opposés - les sons, les textures. Mais que cette histoire (virtuelle) n’est aucunement «montrée», explicitée. Il n’y a strictement rien à voir … et peut être rien à comprendre, au sens premier, sinon vivre et sentir. Tout est dans la force des sons, dans leurs jeux, leurs transformations et associations constructives, voire affectives, psychologiques, imaginatives. Tout le pouvoir est dans la perception auditive placée seule devant elle-même.

Telle est la musique du non-voir. Par sa structure, sa fonction, son mode de présentation, elle s’oppose entièrement aux phénomènes des vedettariats, dont la musique à été l’un des terrains favoris. Aucun «chef» à regarder, conduisant des ensembles ou orchestres eux-mêmes offerts à la vue: spectacles entièrement subordonnés aux fonctions, et trop souvent soumis à un formalisme sans aucune liberté.

Musique du non-regard, l’œuvre ainsi conçue s’adresse directement à la conscience de l’auditeur, tout comme la poésie s’adresse directement à l’imaginaire du lecteur. Elle brise même exprès avec le phénomène des applaudissements, en utilisant des sons et textures qui précèdent, suspendent, et prolongent l’œuvre au-delà des temps et limites du concert. Lorsque pour entendre Gaku-no-Michi l’auditeur entre dans la salle, des sons «d’activité restreinte», servant d’introduction au concert, sont déjà présents. À la fin de l’œuvre, après le geste cadentiel (l’hymne Japonais ralenti et modulé qui termine la dernière partie) le son de prolongation s’installe, contemplatif, apaisé, transcendant toute la dramaturgie maintenant achevée. Il se prolonge indéfiniment. Chacun peut l’écouter aussi longtemps qu’il le désire. Il ne s’achève qu’une fois la salle totalement vide.

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Quant à l’esthétique de Gaku-no-Michi, si elle offre des relations évidentes avec le Japon, il ne faut surtout pas en faire le seul pôle. C’est tout autant l’univers du surréalisme, ou celui de «l’art brut», qui se manifestent ici au niveau musical. On pourrait même appliquer à Gaku-no-Michi certains commentaires exprimés autour de mon œuvre «Shânti», comparée aux musiques du Tibet (le son comme objet seul hors les relations dialectiques d’un langage musical au sens habituel), comparée aussi aux techniques des peintres de l’abstraction lyrique (école de New York: Pollock, Tobey, d’autres). Les matériaux-sources proprement Japonais utilisés sont évidemment très nombreux. Ils ont été en majorité enregistrés en direct dans les rues, les lieux publics, etc. Certains ont été recherchés dans des sonothèques spécialisées: - «Pachinko»: billard électrique et manuel très populaire au Japon. Groupé par très grandes quantités dans certains lieux. - «Shishiyodoshi»: bambou creux articulé en son milieu, recevant un filet d’eau, et basculant à rythme lent et régulier sur une pierre, qu’il vient heurter en vidant l’eau dont il s’est rempli. Usage non totalement défini, utilisé selon certains pour «ponctuer le silence» dans les jardins (enregistré dans un jardin de Kyôto). - Sonnettes, portes, annonces vocales, dans les métros de Tokyo. - Jeunes filles commentant chaque étage, avec une voix ritualisée, dans les ascenseurs des grands magasins. - Jeux d’enfant sur les toits d’un grand magasin de Ginza (Tokyo). - Annonces vocales dans les rues commerçantes de Shinjuku (Tokyo). - Cris de la foule et du meneur de jeu aux combats de «Sumo». - Bruits de la foule pendant les célébrations de «Sakura», dans le parc de Ueno (Tokyo). - Cris des marchands de poissons près de la gare de Ueno (Tokyo). - Pas de la foule aux heures d’affluences dans la gare de Shibuya (Tokyo). - Son des publicités à la télévision. - Harangues politiques sur les grandes places publiques, devant la gare de Shibuya (Tokyo) et devant celle de Kyôto. - Chant des pilotes de combat (chant «Kamikaze»). - Hymne National Japonais. - Reportage de la cérémonie commémorative annuelle à Hiroshima. - Gagaku «Etenraku». - Rythme de pas des moines pendant un moment de la cérémonie «Omizutori» à Nara. - etc.

—Jean-Claude Éloy, Paris, 12 novembre 2001

La musique du non regard, texte n0 64 sur Gaku-no-Michi («Les Voies de la musique») pour sons électroniques et concrets, publié dans le programme du festival 38e Rugissants, Grenoble, décembre 2001. Hors territoires © 2004.

Notice (en) : Produced at Denshi Ongaku Studio (Electronic Music Studio), Nippon Hoso Kyokai (NHK), Tokyo (1977–78)

Music Beyond Sight (Music of the Unseen)

Gaku-no-Michi was produced in 1977-78 at the invitation of the Electronic Music Studio of the NHK Radio (Nippon Hoso Kyokai) in Tokyo. Due to its monumental proportions, this work has often been called an “electroacoustic epic”. It is dedicated to Wataru Uenami: former director of the music program and Electronic Music Studio at NHK-Tokyo. Thanks to him, I was able to freely create this poem of sound and matter, whose development required three stays of several months each. More than 1.200 hours of work in the studio were necessary to carry the project to its final form.

It is indeed one of the many paradoxes of contemporary music practice which led me to work in Japan several times in my life, not so much with a view to undertake a sometimes illusory spiritual quest, but rather because some institution’s leaders (who were culturally open to the directions implied by my choices) offered me production means and projects in a spirit of significant freedom as to my approach and conception of the work, especially where the inter-cultural aspect of the work was concerned. At that time, this sharing between cultures was somewhat disputed by a significant part of the established contemporary music community, here, in France.

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The title Gaku-no-Michi means: “the Ways of Music”. It could be understood, in a broader sense, as “The Way of Sounds”. It is very naturally that to create this work I let me inspired by the environment in which I lived and worked: Tokyo and, in a larger sense, Japan.

The driving force behind the formal construction of Gaku-no-Michi is the concept of the eternal wandering, the unlimited quest towards something or through things. In the present case, things represented by sounds making up the acoustic material whose intertwined meanings were transformed or even completely reversed by the magic of the unlimited processes of the electronic studio.

The ideogram “Michi” implies this direction even more specifically. The second pronunciation of this ideogram (in Japanese from Chinese origine) is “Dô”: which is the famous Chinese ideogram “Tao” (Chineses, for translating the ideograms of Gaku-no-Michi, are saying; “The Tao of Music”). One should thus be able to settle inside of the work and live its length, its evolution, its contradictions and contrasts: to be open to absorb it in order to genuinely understand it. It is the complete opposite of what is called “meditative music” and is often mistakenly associated with practices such as Zen and Yoga. Such music should be discreet and neutral enough to provide a simple background to a personal meditative process. Here, on the contrary, it is the musical work itself that suggests its own dimension, its own development in time and its meditative-reflective process to the listener. This should happen through and by the power of sounds. The audience is invited to take part only in this development of the music within time and in nothing else.

But this is also a Music Beyond Sight, or Music of the Unseen. During the seventies, I was often confronted with the unfocused and destructive behaviour of some symphonic orchestras. Several times, my works “Kâmakalâ” and “Fluctuante-Immuable” were completely altered by the vision of performers confronted with difficulties that they could not master or who were hostile to the work.

On the contrary, with works entirely created in studios - like “Shânti” or Gaku-no-Michi -, I could offer the audience a broad architecture to listen to while being invited to watch nothing. In my opinion and for those who would accept being outside a standardised concept of concert, this strengthened the listening experience by widening auditory perception.

When giving to Gaku-no-Michi the following subtitle: “film without images for electronic and concrete sounds”, I wanted to express the idea that a narrative (as a sub- text) is present in the work. It implies the existence of undercurrents, dramatic forces, an exercise in contrasts, a dialectic relationship of forces and opposing characters expressed in sounds and textures. But this (virtual) story is not explicitly demonstrated. There is absolutely nothing to see… and probably nothing to understand on a primary level, apart from sensing and living. Everything lies in the strength of the sounds, in the play between them, in their transformations and associations that operate in a constructive, even emotional, psychological and imaginary mode. It all lies in the power of the auditory perception confronted with its own self.

This is therefore music that is unseen. By its structure, function and mode of performance, it resists the stardom factor wherein music has occupied a favourite place. There is no leader-conductor to watch and no conducting ensembles or orchestras offered up to eyesight. I consider those performances as being too often bound by a formalism which is completely lacking in freedom.

The Beyond Sight music is conceived in such a way that it strikes directly at the listener’s consciousness, just as poetry directly addresses the imagination of the reader. It purposely breaks away from the phenomenon of applause by using sounds and textures that precede, suspend and extend the work outside of the boundaries and time frame of a concert. When the audience enters the concert hall in order to listen to “Gaku- no-Michi”, restrained sounds of activity, used as foreword to the concert are already audible. At the end of the piece, when the last cadenza-gesture is performed (a slowed down and modulated version of the Japanese National Anthem), it is followed by an extended sound that settles down in the concert hall, smoothly, calm and contemplative, serving to transcend the now achieved dramatic forces. It extends endlessly. Everyone can listen to it as much as one desires. It ends only when the hall is totally emptied.

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Even though the aesthetic aspect of Gaku-no-Michi offers obvious links to Japan, it should not be considered as the only emphasis of the work. The world of surrealism or the world of “art brut” are also present here on a musical level. We could even say that certain comments concerning my works “Shânti” could be applied to Gaku-no-Michi. “Shânti” was compared to Tibetan music (the sound as the only object outside of the dialectic relationships of a musical language in the usual sense of the term). It was also compared to techniques belonging to painters from abstract lyricism (New York School: Pollock, Tobey and others).

Of course, the specifically Japanese sound-sources do occupy an important place. They were customarily recorded directly from the streets, public places, etc. Some of them were discovered in specialised sound libraries: - “Pachinko”: electric and manual billiards. They are very popular in Japan, and grouped by large amount in specific public places. - “Shishiyodoshi”: hollow bamboo articulated in the middle. It receives a tiny water stream and rocks with a slow and regular rhythm on a stone that it hits, thus emptying the water it was filled with. These “Shishiyodoshi” do not have a clearly defined usage. Some would say that their presence in gardens gives a breathing rhythm to silence. The recording took place in a garden in Kyôto. - Bells, doors and vocal announcements in the Tokyo underground. - Young women announcing each floor with a softened, inflected and ritualised voice in department stores lifts (Ginza, Tokyo). - Children playing on the roofs of a department store in Ginza (Tokyo). - Vocal announcements in Shinjuku commercial streets (Tokyo). - Crowd and fight leader shouting during Sumo fights. - Sounds of a crowd during the “Sakura” celebrations in Ueno park (Tokyo). - Fishmongers shouting near the Ueno railway station (Tokyo). - Crowd footsteps at rush hour in the Shibuya railway station (Tokyo). - Sounds belonging to television adverts. - Political harangues in public squares in front of Shibuya (Tokyo) and Kyôto railway stations. - Song of fighter pilots (“Kamikaze” song). - Japanese National Anthem. - Radio broadcast commentary of the annual Hiroshima commemoration. - Gagaku “Etenraku”. - Rhythm of the monks’ footsteps during a specific moment of the “Omizutori” ceremony in Nara. - etc.

—Jean-Claude Éloy, Paris, November 12, 2001

“Music Beyond Sight (Music of the Unseen)” on Gaku-no-Michi (“Ways of music”), for electronic and concrete sounds, text no 64 published in the program of the 38e Rugissants festival , Grenoble, December 2001. Hors territoires © 2004. Translated from the original French by Olia Lumelsky.

Exécution : 22219
Artiste impliqué
Nom Part Fonction Id éditeur Genre
Jean-Claude Éloy 100% Compositeur M
Mouvements
1 Pachinko 12min
2 Tokyo 50min 11s
3 Fushike-e
4 Mokuso
5 Banbutsu-no-Ryôdo 42min 52s
6 Kaiso
7 Han